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- Le sujet est
à certains égards
encore tabou. N’a-t-on pas évoqué ces amours infirmes comme des déviances, des
relations contre nature ? Le spectre de l’amour impossible est là, tapi
dans ces non-dits, ces regards réprobateurs, ces sarcasmes à peine
dissimulés : cachez cet amour que je ne saurais voir et qui me dérange.
On
parle aussi du sexe des anges : la personne handicapée, parce qu’elle est
paralysée des membres inférieurs ou amputée, est vue comme un être incomplet,
pareil à ces statues angéliques dont on ne représente jamais les corps dans
leur totalité.
Pour être acceptée dans la
société, la personne handicapée doit répondre à l’image qu’on se fait
d’elle : la représentation d’un idéal de pureté, de dépassement de soi, la
preuve que le bonheur est possible malgré la souffrance et l’adversité. Elle a
pour vocation préétablie de rayonner, de se placer au-dessus de la masse des
vivants pour les rassurer sur les vicissitudes de l’existence.
On admire son
courage, sa ténacité, son intégrité. On a besoin de se confronter à son
infirmité pour se sentir « complet », parfaitement accompli, rassuré
sur son devenir.
Elle reçoit en retour des témoignages d’affection mais elle
est plus souvent la confidente que l'amante. Ces ami(e)s qui ont fait leur vie
autour d’elle l’enferment inconsciemment dans le rôle de la petite sœur de
solitude : elle a été témoin à leur mariage, marraine pour le petit
dernier.
« C’est bien de montrer à
son entourage qu’on a une amie handicapée, qu’on a suffisamment d’ouverture du
cœur, nous confie Charlotte. J’ai eu la chance d’avoir quelques amis sincères
qui ont toujours répondu présent dans les bons comme dans les moins bons
moments. Ça n’a pas été le cas pour les autres. Dès que mon petit ami Bertrand
a partagé ma vie, certaines personnes de mon entourage m’ont dissuadé de vivre
en couple avec lui. Sans doute pensaient-elles que je serais maintenant moins
disponible pour écouter leurs confidences. Je n’étais plus seule, donc
forcément dans leur tête, j’étais un peu moins handicapée, un peu moins
exceptionnelle, puisque j’avais une vie sexuelle. »
Malgré
la maladie invalidante ou les séquelles de l'accident,
il y une sexualité après le
handicap, mais elle suppose une nécessaire période de reconstruction, de
restauration de la confiance en soi.
La personne handicapée
recoure dans certains cas à des aides pharmacologiques, à des accessoires qui
lui permettront de prendre du plaisir, en privilégiant les mille et
un jardins secrets de la relation que sont la tendresse, les caresses,
l’intense partage des émotions et des sensations.
Cette
sexualité "revisitée" demande de l’audace, une dose
d’humour et de naturel pour vivre une relation amoureuse épanouie, malgré les
tribulations d’un corps physique qui a quelques ratés. Libérée des
performances du sexe, elle est toute entière tournée vers l’univers fantasmatique des
sentiments et des désirs.
  
Texte
extrait de l'ouvrage Handicap, un challenge au quotidien,
Cesarina Moresi, Philippe Barraqué, éditions Jouvence,
2007, ISBN 978-2-88353-572-5 - Tous droits de traduction,
reproduction et adaptation réservés pour tous pays.
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